Propos recueillis par: Mohamed Adel Mtimet
تعيد أروقة نشر نص الحوار الذي كانت أجرته بتاريخ 21 ديسمبر 2020 مع الفيلسوف الفرنسي روجيه بول دروا.. ونذكّر بأن هذا الحوار قد تناول أسئلة شتّى متعلقة بعلاقة الفلسفة في الغرب بالفلسفات الأخرى، وبما إذا كان حقل التفكير الفلسفي في الغرب قد تجاوز النظرة المركزية التي ميزته في القرون السابقة. وبالانطلاق من هذا السؤال المتعلق بالحقل الفلسفي طرحنا على روجيه بول دروا السؤال حول الصيغة التي يتمثل بها الغرب الآخرية الحضارية. وتناول الحوار قضايا أخرى متعلقة بالنيوليبرالية والشيوعية والتطرف الديني اليوم.
Propos recueillis par: Mohamed adel Mtimet ___أجرى الحوار: محمد عادل مطيمط
من هو روجيه-بول دروا؟
روجيه-بول دروا (ولد في باريس عام 1949). هو فيلسوف وصحافي فرنسي.
باحث في المركز الوطني للبحث العلمي س أن أر أس (في مركز جون بيبان، تاريخ المذاهب القديمة) . هو مدرس وكاتب، وهو أيضًا صاحب ركن قار في « لوموند دو ليفر »، في « الإيكو » و »لوبوان » و « كلي »، ألّف روجيه بول دروا حوالي ثلاثين كتابًا في الفلسفة وتاريخ الأفكار ، لقي بعضها نجاحا كبيرا لدى جمهور القراء ، لا سيما الـ 101 تجربة في الفلسفة اليومية (جائزة المقالة ، فرانس تلفزيون) وتُرجمت أعماله إلى أكثر من ثلاثين لغة. كان مستشارًا للمدير العام لليونسكو (1994-1999) وعضوًا في لجنة الأخلاقيات الاستشارية الوطنية لعلوم الحياة (2007-2013). أنظر قائمة مؤلفات روجيه-بول دروا في تذييل نص الحوار.
Roger-Pol Droit (né en 1949 à Paris) est un philosophe et journaliste français.
Chercheur au CNRS (Centre Jean Pépin, Histoire des doctrines de l’Antiquité), enseignant et écrivain, il est par ailleurs chroniqueur au Monde des livres, aux Échos, au Point, à Clés. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages de philosophie et d’histoire des idées, dont certains ont rencontré un succès auprès d’un large public, en particulier 101 expériences de philosophie quotidienne (prix de l’essai France Télévisions) et sont traduits en plus de trente langues. Il a été conseiller du directeur général de l’UNESCO (1994-1999) et membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie (2007-2013). (source: Wikipédia
Arwiqa-portiques: Dans une interview avec l’Hebdo PSYCHOLOGIES, à la question posée par Mireille Descombes : « Pensez-vous qu’en France, globalement, l’enseignement philosophique (universitaire ou non) prend suffisamment en compte les philosophies non-occidentales ? », vous répondez que : « Non ! Tout simplement parce que, la plupart du temps, on n’en parle pas du tout. Prenez la liste des auteurs au programme du baccalauréat, vous n’avez que des auteurs grecs, latins, français, allemands, en tout cas européens et occidentaux, tous des pourtours de la Méditerranée ou de la vieille Europe. Pire que cela : quand je faisais mes études de philosophie, on m’a enseigné qu’il n’y a pas de philosophie indienne ou chinoise : il n’y avait de philosophie que grecque ! …» Voulez-vous en conclure que l’enseignement philosophique en Europe souffre d’une certaine « conscience primitive » ?
Roger-Pol Droit – La question du dialogue interculturel, en philosophie, demeure un vaste problème. Une sorte de pesanteur, ou de force d’inertie, fait que l’enseignement philosophique reste encore clos sur le seul héritage gréco-européen, en ignorant trop souvent les immenses richesses intellectuelles des œuvres philosophiques qui se sont développées, au fil des siècles, en arabe, en hébreu, en sanskrit, en tibétain, en chinois…
Toutefois, la situation évolue. Trop lentement sans doute, mais de manière encourageante. D’abord, le dogme absurde qui conduisait à professer, à la suite de Heidegger en particulier, que la philosophie n’est possible qu’en grec ou en allemand est de moins en moins répandu. Il est de plus en plus admis que la pensée philosophique existe en plusieurs langues, et dans des aires culturelles différentes.
Je crois avoir contribué, avec d’autres, à cette évolution. Plusieurs de mes travaux de recherche ont remis en lumière des éléments historiques utiles à connaître pour faire changer le paysage. L’oubli de l’Inde, en 1989, retrace l’histoire de la découverte des philosophies indiennes par l’Europe, l’enthousiasme qu’elles ont suscité, puis leur mise à l’écart. Le Culte du Néant. Les philosophes et le Bouddha, en 1997, examine en détail la découverte occidentale du bouddhisme et les malentendus qu’elle a suscités chez les philosophes, en particulier Hegel, Schopenhauer et Nietzsche. J’ai également eu l’occasion de diriger deux gros volumes intitulés Philosophies d’ailleurs, en 2009, qui rendent disponible, pour la première fois, avec l’aide de grands spécialistes de chaque domaine, une anthologie de textes philosophiques arabes, persans, tibétains, etc.
Enfin, depuis cette année, la liste officielle des philosophes du baccalauréat français comprend, pour la première fois, un Indien (Nâgârjuna), un Chinois (Tchouang-Tseu), un Juif (Maïmonide) et un nouvel auteur arabe, Averroès, qui vient rejoindre Avicenne, déjà présent. La commission a bien voulu suivre mes recommandations, et ce résultat, même s’il est mince, constitue une avancée. En effet, la présence de ces auteurs doit inciter les professeurs à les découvrir, et à les enseigner, et j’espère que d’autres suivront, et que peu à peu l’enseignement de la philosophie s’ouvrira vraiment aux différentes cultures du monde
Arwiqa-portiques: Mais y a-t-il, à votre avis, ailleurs que dans l’Occident, une pensée philosophique plus profonde de l’Altérité ?
Roger-Pol Droit– Je ne crois pas que les relations aux autres, ou à l’Autre, soient radicalement meilleures, ni plus ouvertes, dans les cultures non occidentales. Il me semble qu’on aurait tort d’opposer une « clôture sur soi » de l’Occident et une « ouverture aux autres » des autres cultures. En fait, toutes les cultures sont plus ou moins closes sur elles-mêmes, souvent méfiantes envers l’envers l’extérieur, parfois méprisantes pour ce qui ne leur ressemble pas. Ce sont là des traits que l’on rencontre partout, bien sûr dans des proportions variables et selon des styles différents. Mais l’on constate également partout, et à toute époque, la présence active de passeurs de frontières, gens de dialogues, de découvertes, de traductions s’efforçant de construire des passerelles entre les univers culturels. Ce sont eux qui comptent, à mon avis, parce qu’ils travaillent toujours à rendre possible un monde commun, en ouvrant des espaces de rencontre.
Arwiqa-portiques: Comment jugez-vous l’apparition d’un magazine dont le but est de présenter l’actualité culturelle française au lectorat arabophone ? Au-delà de la montée déplorable de l’extrémisme islamiste, considérez-vous qu’un dialogue interculturel arabo-français, est toujours possible et est toujours nécessaire ?
Roger-Pol Droit – Tout ce qui peut permettre de faire circuler d’une langue à une autre des idées, des informations, des points de vue est non seulement utile mais indispensable. Les liens entre les cultures française et arabe sont anciens, multiples et puissants, et il est important de les réactiver après des temps de prise de distance ou d’ignorance réciproque. Et plus encore au moment où la violence et le fanatisme de l’islamisme accumulent les attentats, les agressions et les victimes, dont les plus nombreuses sont musulmanes, il est nécessaire de se parler, de se connaître, de s’informer les uns les autres. Cela ne veut pas dire que nous serons d’accord sur tout. Mais la tolérance ne consiste pas à supprimer les désaccords. Elle consiste avant tout à les exprimer et à les examiner, pour parvenir à coexister sans se faire la guerre.
Arwiqa-portiques: Pouvez-vous choisir entre communisme et néolibéralisme ? peut-on penser comme beaucoup le suggèrent aujourd’hui que dans certains aspects, le néolibéralisme peut nous conduire à des conséquences semblables à celles qui le communisme avait causées ?
Roger-Pol Droit – S’il fallait vraiment choisir, j’opterais, sans la moindre hésitation, pour le néolibéralisme. Parce que le communisme a été une utopie destructrice et mortifère. En fait, chaque fois que l’on prétend détenir LA vérité, et qu’on décide de l’imposer à l’humanité pour son bien et pour son bonheur définitif, alors on ouvre la porte au totalitarisme et à la barbarie. Le libéralisme, ancien ou néo, a au moins l’avantage de garantir la pluralité des opinions et les libertés de pensée, d’expression, de circulation, etc.
Cela ne signifie pas qu’il est sans inconvénient. S’il ne construit pas de Goulag, il accroit les inégalités, met en danger l’environnement, maintient les dominations et les oppressions. Il faut de toute évidence des freins, des outils de régulation, des instances de répartition pour pallier à ces dérives et rééquilibrer l’ensemble. Mais cette exigence a le plus grand mal à déboucher sur des résultats concrets, pour une raison simple : le système est mondial, mais il n’existe pas de gouvernement mondial, ni de contre-pouvoir planétaire. Jusqu’à présent, on ne dispose que d’outils de régulation régionaux, à efficacité restreinte.
Arwiqa-portiques: Pour un penseur contemporain que vous êtes, quel est le régime politique idéal auquel doit tendre toute société humaine ?
Roger-Pol Droit – Je ne pense pas qu’il n’y en ait qu’un seul. Il faut en effet distinguer entre les régimes politiques au sens propre (monarchie, république, démocratie parlementaire ou non etc. ) et l’horizon de toute politique qui consiste à édifier une société vivable.
Je ne crois pas à l’existence de la société idéale, débarrassée à jamais de tout conflit, et où l’humanité vivrait enfin, pour toujours, dans la paix et la concorde. Cette vision idyllique est un rêve religieux, ou bien un fantasme philosophique, comme la « Cité idéale » de La République de Platon. La réalité historique est toujours conflictuelle, imparfaite, constituée de compromis par définition insatisfaisants.
L’idéal vers lequel doit tendre l’humanité n’est pas, à mes yeux, la perfection, mais plutôt le moindre mal. Moins d’injustice, moins de massacres, moins de malheurs et de souffrances est ce qu’on peut faire de mieux. Selon les époques et les cultures, plusieurs régimes politiques peuvent approcher de ce résultat.
Arwiqa-portiques: Sommes-nous, en Occident, condamnés à subir un processus fatal de décadence ? Comment l’Europe peut-elle y échapper ?
Roger-Pol Droit – Il n’y a jamais aucune fatalité. L’Occident a sans doute en grande partie perdu le sens des valeurs et des règles qui ont fait autrefois sa grandeur. Il ne détient plus le pouvoir colonial, et de moins en moins le pouvoir économique. Mais croire que tout est fini ne fait qu’accélérer le déclin ! Il me semble qu’il reste encore énormément d’énergie, de volonté, de projets pour que l’Europe se développe et s’affirme de nouveau. A la condition qu’elle cesse de se prendre pour le centre du monde, et qu’elle prenne conscience du fait que son modèle – politique et moral – n’est pas le seul qui existe…
Arwiqa-portiques: Que pensez-vous de la montée actuelle de l’islamisme ? Constitue-elle une menace imminente contre l’humanité ? La réforme de l’islam est – elle toujours possible ?
Roger-Pol Droit – Ce qui menace « l’humanité », en tant que principe de coexistence entre tous les individus de notre espèce, c’est toujours la conviction de certains de détenir une « vérité absolue », au nom de laquelle il devient légitime d’étouffer toute pitié, toute compassion, tout sentiment d’humanité et donc de tuer des enfants, de torturer et de violer, d’assassiner tout en se considérant comme légitimés à le faire, et même glorieux de l’accomplir. Cela se vérifie avec les crimes des djihadistes aujourd’hui, comme avec ceux des nazis hier, ou des Croisés auparavant.
Oui, il me semble que la réforme de l’Islam, qui est indispensable, est encore possible. Elle passe notamment par la distanciation du pouvoir politique et du pouvoir religieux, par la critique historique du texte du Coran, par la transformation du statut des femmes. En tout cas, la route sera longue, et exigera certainement plusieurs générations.
Arwiqa-portiques: Si on vous demande d’adresser un mot au lectorat arabe, que diriez-vous ?
Roger-Pol Droit – Je dirais simplement : que vous soyez homme ou femme, réfléchissez avant tout aux droits des femmes, à la situation des femmes, à la dignité et à la liberté des femmes ! C’est là que réside aujourd’hui la clé de votre avenir, et celui de toute l’humanité.
Arwiqa-portiques: Merci Roger-Pol Droit.
Ouvrages de Roger-Pol Droit:
- Le Culte du néant : Les philosophes et le Bouddha, Seuil, 1997
- Les Religions expliquées à ma fille, Seuil, 2000
- La Compagnie des contemporains, Odile Jacob, 2002
- Dernières nouvelles des choses, Odile Jacob, 2003 (ISBN 2-7381-1333-8)
- Roger-Pol Droit, 101 expériences de philosophie quotidienne, Paris, Odile Jacob, coll. « Poches » (no 105), 2001, 260 p. (ISBN 2-7381-0922-5, lire en ligne [archive])
- La philosophie expliquée à ma fille, Seuil, 2004
- L’Oubli de l’Inde – Une amnésie philosophique, Seuil, 2004
- Votre vie sera parfaite, Odile Jacob, 2005 (ISBN 2-7381-1574-8)
- Généalogie des barbares, Odile Jacob, 2007.
- Un si léger cauchemar, Flammarion, 2007.
- Vivre toujours plus ? Le philosophe et le généticien, avec Axel Kahn, Bayard, 2008 (ISBN 978-2-227-47746-9).
- Où sont les ânes au Mali ?, Seuil, 2008 (ISBN 978-2-02-098567-3)
- Une brève histoire de la philosophie, Flammarion, 2008
- L’Occident expliqué à tout le monde, Seuil, 2008
- Philosophies d’ailleurs (sous la direction de Roger-Pol Droit), volume 1 : Les pensées indiennes, chinoises et tibétaines, volume 2 : Les pensées hébraïques, arabes, persanes et égyptiennes, Hermann, coll. « Hermann Philosophie », 2009
- L’éthique expliquée à tout le monde, Seuil, 2009
- Les Héros de la sagesse, Plon, 2009
- Le Silence du Bouddha et autres questions indiennes, Hermann, coll. « Hermann Philosophie », 2010
- Osez parler philo avec vos enfants, Bayard, 2010
- Le Banquier et le Philosophe, Plon, 2010
- La Compagnie des philosophes, Odile Jacob, 2010
- Maîtres à penser, 20 philosophes qui ont fait le xxe siècle, Flammarion, 2011
- Vivre aujourd’hui avec Socrate, Épicure, Sénèque et tous les autres, Odile Jacob, 2012
- Humain, Flammarion, 2012, avec Monique Atlan.
- Petites expériences de philosophie entre amis, Plon, 2012
- Ma philo perso de A à Z, Seuil, 2013
- Si je n’avais plus qu’une heure à vivre, Odile Jacob, 2014
- Qu’est-ce qui nous unit ?, Plon, 2015
- La philosophie ne fait pas le bonheur …et c’est tant mieux, Flammarion, 2015
- L’espoir a-t-il un avenir ?, avec Monique Atlan, Flammarion, 2016
- Comment marchent les philosophes, éditions Paulsen, 2016
- Et si Platon revenait…, Albin Michel, 2018
- Monsieur, je ne vous aime point, roman, Albin Michel, 2019 (ISBN 978-2226398956)