Les spécialistes parlent de «catastrophe» et envisagent, en réponse, rien moins que de fonder une nouvelle physique.__يتكلّم المختصّون عن “كارثة”، ويخططون في مواجهتها لتأسيس فيزاء جديدة

par Dominique LEGLU_بثلم دومنيك لوغلو

publié le 1er juin 1999 à 23h17_ مقال منشور في جريدة ليبيراسيون 1 جوان 1999

كان الفراغ في البداية ضرورة كي تصير بعض الحقائق العلمية الأساسية مشروعة ومرتكزة على أسس ابستمولوجية صلبة. هكذا كان الأمر منذ انطلاق النقاش في أواسط القرون الوسطى حول مدى صلابة الإقرار باستحالة الحركة في الفراغ وحول كون الإقرار بالفراغ هو الذي يمكننا من ادراك المبدأ الأساسي للحركة والسكون في الكون.,,, كان الفراغ قد مثل تجريدا أساسيا لدى كل من غاليلاي ونيوطن لفهم حقيقة التسارع في السقوط أو لاثبات المسلمة الأولى للحركة في الميكانيكا الكلاسيكية: مبدأ العطالة. ولكن التاريخ المعاصر للفيزياء، في مستوى نظرية النسبية العامة يفاجئ الجميع بان الفراغ ليس دائما حقيقة قائمة وأن ما ظُنّ سابقا أنه فراغ شبيه بفراغ ذلك الجزء الفارغ من أنبوب “تورتشيلي” قد يكون ممتلئا أكثر من الفضاء الممتلئ نفسه، بل أن امتلاءه قد يكون زخما طاقيا لا نهاية له، أضحى بعض الفيزيائيين يتحدثون عن كارثة، هي كارثة هذا الذي يتحدد باعتباره لاشيئا، ولكنه في الآن نفسه يمثل كل شيء أو هو أثرى وأكبر من كل شيءـ,

C’est un vide si plein, si foisonnant d’énigmes, qu’il est devenu l’acteur central d’une tragédie scientifique paroxystique. Le drame s’intitule «la catastrophe du vide» et sa trame n’est pas bricolée de petits riens. Si la nature eut jadis «horreur du vide», ce sont les spécialistes qui aujourd’hui, ont de quoi être frappés d’effroi: le vide, pour eux, engendre la crise la plus aiguë de la physique théorique actuelle, un «problème si profond qu’il pourrait bien être le point de départ vers une nouvelle physique», estime le physicien belge Edgard Gunzig (université libre de Bruxelles). Il vient, avec le Français Simon Diner (directeur de recherche au CNRS), de publier le premier ouvrage collectif d’importance en français, consacré à cette énigme clé: le Vide, univers du tout et du rien (1). Pour ce sujet «en pleine explosion», l’ouvrage ne veut pas donner «l’image figée d’une connaissance acquise mais refléter l’état de la recherche, dynamique et en pleine évolution». Les intitulés ont de quoi titiller: «Qu’y a-t-il là quand il n’y a rien là?» par l’Américain Robert Mills (2); «Entre rien et quelque chose: les paradoxes du vide» par l’astrophysicien français Marc Lachièze-Rey. «De quoi parlons-nous?» s’interrogent finalement sur plus de 500 pages, 41 auteurs belges, français, américains, espagnols, hollandais, britanniques” A eux tous, ils construisent une histoire scientifique moderne ­ non sans importants rappels philosophiques et théologiques ­ d’autant plus étonnante qu’il semble n’y être question que «d’instabilité», de «fluctuations», de «catastrophe de l’irreprésentable», de «faux et de vrai vide». Quel visage présente donc aujourd’hui cet étrange vide, qu’une de ses facettes révèle comme un extravagant réservoir d’énergie, dont la présence a été confirmée lors d’une expérience clé, baptisée «effet Casimir» (lire ci-contre): «Dans chaque centimètre cube de l’Univers, il y a vraiment beaucoup plus d’ordres de grandeur d’énergie du vide que celle de la matière dans tout l’Univers visible», écrit ainsi l’Américain Ronald Adler (université de Stanford)? Libération fait le point avec le physicien Edgard Gunzig.

Longtemps, le vide est resté l’apanage des philosophes. Quand le concept est-il devenu scientifique? Avec Galilée, au XVIIe siècle, le vide a cessé d’être un enjeu philosophique pour devenir un objet de science. Galilée, le premier, a formulé des «expériences de pensée» pour comprendre les lois du mouvement des corps. Il avait besoin, pour préciser ce qui arrivait à un corps laissé à lui-même, d’éliminer les forces de frottement, de débarrasser le phénomène à étudier des parasites susceptibles de le troubler, d’opérer une idéalisation du réel, bref de «faire le vide». On assiste ainsi à la première construction théorique du vide. Il fut relayé, d’une façon plus mathématique, par Newton, qui introduisit le vide dans sa conception du monde. Ce vide est un espace absolu dépourvu de matière. Pourtant, au XIXe siècle, rien ne va plus avec ce vide «sans matière». Pourquoi?

Le problème surgit avec les questions de rayonnement. En particulier, après les travaux de Faraday et surtout de Maxwell, qui formule les lois de l’électromagnétisme (lois entrecroisées de l’électricité et du magnétisme) et comprend définitivement que la lumière est une onde élec- tromagnétique. On connaissait déjà des ondes: les acoustiques où c’est l’air qui vibre; les aquatiques, où c’est l’eau qui vibre. A chaque fois, il y avait un milieu qui vibrait et transportait les ondes. De même, on se demande ce qui vibre pour la lumière? On avait en quelque sorte besoin d’une substance où vibre la lumière. Ainsi est née la notion d’«éther» (rien à voir avec le produit chimique, ndlr). L’éther en question n’a jamais été trouvé, Einstein l’a même radicalement éliminé. Qu’est-ce qui reste? La célèbre expérience de Michelson et Morley a effectivement apporté la preuve que la lumière se propageait sans que puisse être repéré un quelconque «vent d’éther». Einstein, avec sa théorie de la relativité restreinte en 1905, a alors l’audace de se débarrasser de l’éther et de postuler que la vitesse de la lumière est la même pour tout le monde, indépendamment des observateurs. C’est une nouvelle façon de comprendre la lumière, phénomène ondulatoire qui se «supporte» lui-même, qui sous-tend sa propre vibration, sans avoir besoin de vibrer dans quelque chose. Un saut conceptuel extraordinaire est franchi: la vitesse de la lumière devenant absolue (et non plus relative à un éther), ce sont d’autres absolus qui doivent être éliminés et devenir relatifs: l’espace et le temps. Il n’y a plus «d’horloge universelle» qui bat pour tout le monde la mesure du temps, l’écoulement du temps devient relatif. Cette relativité a frappé les esprits de l’époque et continue de provoquer des remous. Ce qui nous frappe, rétrospectivement, c’est que ce moment de la théorie est un point d’articulation dans l’histoire du vide: jamais il n’a été plus vide. Le vide est dépouillé de tout, véritablement «évidé».

Parce qu’ensuite, il s’est re-rempli? Avec la relativité générale, où s’installe de façon «naturelle» la gravitation, il y a en effet réhabillage du vide. L’espace-temps, qui était une sorte de scène de théâtre passive pour les événements, un réceptacle inerte devient un protagoniste dynamique actif. Il se courbe, cette courbure traduisant sa sensibilité au contenu de l’Univers, c’est-à-dire à la matière (lire glossaire). Les équations prennent une tournure inédite, où géométrie égale matière, où la géométrie de l’espace-temps prend un caractère physique. Et que devient le vide là-dedans? Il devient physiquement impossible. On voit en effet que la gravitation, universelle, est impossible à «écranter». On ne peut pas construire une cage de Faraday (3) qui abrite de la gravitation; les «effets gravitationnels» ne peuvent être éliminés d’aucun lieu. Même si on évacue de cet endroit-ci la matière, le rayonnement électromagnétique, qu’on décide même de négliger le fameux rayonnement cosmologique à 3°Kelvin (rayonnement fossile du big bang, ndlr) traversant l’Univers tout entier, il restera inévitablement quelque chose: les effets à l’infini de la matière qui est encore quelque part. Einstein allait encore plus loin et affirmait qu’un vide en relativité générale est «non seulement physiquement impossible mais aussi conceptuellement incohérent». Pendant ce temps, l’effet Casimir nous confirme que jamais vide n’a été aussi plein d’énergie. Mais c’est le vide vu par une autre théorie, la mécanique quantique. Que faut-il y comprendre? Ce n’est pas un petit problème mais une catastrophe. Pour mieux le comprendre, il faut un peu de théorie. En théorie quantique des champs (lire glossaire), les objets fondamentaux ne sont ni les particules, ni les ondes, mais les «champs quantiques». C’est lorsque ces «champs» sont excités qu’on voit par exemple apparaître ce que l’on baptise particule ­ électron, proton ou autre, et qu’on les détecte avec des appareils de mesure. A l’inverse, c’est quand ces champs sont dans leur état d’énergie minimale (dit fondamental) qu’on parle de «vide». Prenons l’analogie du pendule. Vu de façon classique, le pendule immobile, qui s’est figé, est dans son état fondamental et son énergie est nulle. Vu de façon quantique, il ne sera jamais considéré comme totalement immobile, il lui restera toujours une petite vibration inamovible par principe. C’est cela que l’on décide de baptiser «vide», cet état de plus basse énergie, étant entendu qu’elle ne vaut pas zéro, que c’est une énergie résiduelle. Dans ce registre, le vide quantique n’est pas absence de matière, mais état particulier de la matière. Il faut construire pour lui un formalisme mathématique à l’instar de ce qu’on fait pour un simple oscillateur. Et c’est ici qu’on découvre que le vide quantique est à la fois capable du pire et du meilleur. Le meilleur? Il pourrait bien être un réservoir potentiel d’Univers. Ainsi, notre Univers matériel aurait pu émerger à partir d’un «vide primordial» devenu instable dans un face-à-face étonnant: des fluctuations quantiques (du vide quantique) et les fluctuations de l’espace-temps qui leur font écho seraient entrées en résonance, produisant spontanément la matière et la courbure d’espace-temps. L’expansion de l’espace-temps devient le moteur de la création de matière et vice-versa” et on voit se construire «gratuitement» l’Univers à partir de ce vide primordial instable. Et le pire? Quand on fait le calcul de «l’énergie» de ce vide, on tombe sur une énergie phénoménale: dix mille milliards de milliards de milliards de milliards (10 40 ) de fois plus grande que celle de tout l’Univers visible. L’énorme densité d’énergie du vide quantique devrait avoir de gigantesques effets gravitationnels” qui sont totalement absents de notre Univers observé. La courbure de l’espace-temps, par exemple, devrait être telle que l’Univers serait ridiculement ramassé sur lui-même, avec un horizon de quelques centimètres! C’est une catastrophe, probablement un problème si profond qu’il faudra une nouvelle physique pour le comprendre.

(1) Editions Complexe, en association avec la Revue de l’université de Bruxelles, 523 pp. 169 F. (2) Physicien du «couple» célèbre Yang et Mills, inventeurs des «champs de jauge», qui joue un rôle essentiel dans les théories des interactions forte et faible. (3) Une cage de Faraday est un conducteur creux qui fait écran aux champs électriques.

Glossaire Relativité restreinte: théorie élaborée par Einstein où l’espace et le temps ne sont plus des absolus; ils se transforment (en se mélangeant l’un à l’autre) en garantissant un autre absolu, la vitesse de la lumière. Les événements physiques se jouent dans une trame nouvelle, «l’espace-temps».

Relativité générale: la trame espace-temps est cette fois courbée, à cause de la matière. On se la représente souvent comme une sorte de filet élastique d’autant plus creux que les corps sont plus massifs. Mécanique quantique: physique s’appliquant à l’infiniment petit des particules et des atomes, et dont les principes choquent souvent le profane, tellement ils s’éloignent du «bon sens» issu de la physique classique s’appliquant aux objets quotidiens. Exemple: on ne peut parler que de la «probabilité de présence» d’un objet.