يستعرض مالك وقاوي واقع السنما زمن الحصار الذي فرضه انتشار الكوفيد على الأفراد، ويعدد البدائل التكنولوجية التي هرع إليها الناس لتعويض هذا النقص الفادح في نشاطهم الروحي، محاولا استشراف ما سيؤول إليه واقع السنما في علاقتها بالجمهور في ما بعد الكوفيد. فهل الكوفيد مضر بالسنما، أم أنه قد يشكل حافزا جديدا على انبعاثها؟

Par Malek Ouakaoui (enseignant-chercheur en littérature française, spécialiste critique cinématographique)

Les propriétaires de la salle d’art et d’essai Grand Action, à Paris le 15 décembre, jour de l’instauration du couvre-feu durci. ALAIN JOCARD/AFP (Le Figa’ro, 29/12/2020 )

 

La crise sanitaire par laquelle passe le monde depuis plus d’un an n’a pas seulement touché la santé publique et l’économie mondiale. La Covid-19 a aussi porté un coup dur à l’activité cultuelle et notamment aux arts du spectacle. Les rassemblements – de surcroît dans des lieux clos – étant interdits, aucun spectacle vivant ni projection filmique n’a pu avoir lieu, du moins dans les conditions normales et donc optimales. Pour autant, des mécanismes de substitution ont été mis en place pour maintenir tant bien que mal des activités culturelles et éducatives nécessaires à l’épanouissement de toute société comme des visites virtuelles de musées, des diffusions de sketch mais aussi de films parfois nouveaux qui circulent sur la toile. Il ne s’agit plus en l’occurrence de la toile qui désigne Une salle de cinéma vide à Mulhouse, le 29 octobre 2020.familièrement l’écran des salles obscures mais du web qui envahit de plus en plus notre quotidien. Ce relai informatique répond d’ailleurs à une demande parfois très forte et qui est consécutive à l’ennui qu’éprouvent les

spectateurs confinés durant des heures à leur domicile. Ils se retrouvent ainsi en manque de divertissement et avides d’exorciser les angoisses en les exprimant par médias interposés ou en les tournant en dérision comme pour démystifier le spectre de la pandémie. Ainsi, à défaut de pouvoir nous rendre dans les salles obscures, nous avons tous pu voir apparaître des festivals virtuels comme « Stop virus film festival » qui a révélé des œuvres inédites – ou sur un thème presque inédit–, visibles par les internautes et soumises à une compétition. L’Institut français a aussi mis en place un festival en ligne permettant aux francophiles, de par le monde, de pouvoir visionner gratuitement ou à des tarifs très réduits des œuvres originales qui font habituellement l’objet de diffusions lors de festivals ordinaires. Par ailleurs, des offres d’accès à des plateformes de visionnage comme celle de Netflix offrant un mois d’accès gratuit, ont sans doute également incité beaucoup de cinéphiles à rester en contact avec les productions audiovisuelles. Certes cela n’est pas une nouveauté, et l’accès aux œuvres filmiques et audiovisuelles sur internet est fréquent depuis la démocratisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication ; mais non seulement cet accès est libre en l’occurrence – n’oublions pas que le visionnage légal de films en streaming n’est pas toujours gratuit – mais en plus, il a acquis une exclusivité puisqu’on ne peut plus se rendre physiquement dans les salles de cinéma, encore qu’en Tunisie, les Journées cinématographiques de Carthage se soient bien tenues. Mais le charme du spectacle vivant et le plaisir du cinéma ne consistent pas seulement dans l’accès à l’œuvre elle-même sous quelque forme qu’elle soit, c’est aussi et surtout un moyen de sociabilisation. Nous allons au cinéma pour voir un film mais aussi pour sortir, pour se voir, pour consommer dans les cafés et fastfoods avoisinants mais aussi pour acheter et partager un gobelet de popcorn parfois dans les salles elles-mêmes, ce qui  d’ailleurs fait partie de la rente liée à la projection et donc à l’économie du cinéma, du moins de certaines salles. Tout cela est balayé par la fermeture des lieux de projection et même si des festivals comme les JCC se tiennent, la distanciation sociale et les gestes barrières rappellent la réalité d’un monde qui est peut-être en déclin. En effet, la pandémie n’a fait qu’accentuer une réalité déjà très présente en ce début du XXIe siècle : de moins en moins de personnes se rendent au cinéma. Et il y a d’ailleurs une évolution historique de ce phénomène. Le cinéma avait à ses débuts essayé de s’imposer comme un art avec ses propres codes et ses propres lieux de diffusion. Et cela ne s’était pas réalisé du jour au lendemain. Il avait fallu d’abord projeter les films – ou les vues comme on disait à l’époque – dans les foires puis dans les cafés. L’apparition des salles spécialement dédiées aux projections filmiques n’a été possible qu’à partir du moment où des hommes d’affaire comme Pathé ou Gaumont avaient investi massivement dans ce média faisant du cinéma une industrie et évinçant au passage ses pionniers qui travaillaient encore de manière artisanale.

Si cette industrie cinématographique avait prospéré dans la première moitié du vingtième siècle, elle dut dès les années cinquante devoir partager son succès avec un nouveau média : la télévision qui concurrençait désormais les salles. À quoi bon en effet sortir quand on pouvait voir un film en restant chez soi ? Mais comme tous les foyers ne possédaient pas encore de téléviseurs, le cinéma gardait une avance, progressivement perdue lors des Trente Glorieuses durant lesquelles les ménages des pays développés à économie de marché s’équipaient de plus en plus d’appareils électroménagers, comme les postes de télévision, grâce à la vente à crédit. Toutefois, les salles gardaient la cote dans les pays socialistes notamment avec la « Renaissance – ou dégel – du cinéma soviétique » entre les années cinquante et quatre-vingt. De plus, si l’incendie du Bazar de la charité de mai 1897 – lors duquel une projection filmique avait entrainé un embrasement – jeta un bref discrédit sur le cinématographe, à l’inverse, les téléviseurs russes de l’époque soviétiques avait de même acquis la réputation d’être dangereux, car explosifs en cas de surtension, ce qui ne pouvait que nuire à l’image de la télévision et donner l’avantage au grand écran.

Cependant, même dans les pays dits capitalistes, le cinéma avait cherché à reprendre le dessus. D’abord en élargissant l’écran qui passa du traditionnel format 4/3 à celui du 16/9. Ce passage lui offrait encore quelques années d’avance sur la télévision qui passa à son tour du format carré au format rectangulaire. Les vidéothèques ou vidéoclubs, puis les bornes de location de DVD et enfin les sites offrant du streaming ont fini par porter un coup dur non seulement aux salles mais aussi à la télévision elle-même. Face à cela, l’effet de la pandémie sur la désertion des salles paraît presque dérisoire. Ces salles de cinéma avaient déjà du mal à attirer des spectateurs et, depuis au moins une quinzaine d’années, elles n’étaient plus qu’une vitrine pour créer l’événement de la sortie d’un film conçu de plus en plus pour une carrière au petit écran, souvent d’ailleurs au format télévisuel.

La frustration liée à l’enfermement et à l’obligation de regarder les films tout seul chez soi va peut-être agir comme un électrochoc et inciter de nouveau le public à sortir et à renouer avec de bonnes vieilles habitudes socioculturelles qui sans aucun doute commencent à manquer cruellement.

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(La crise sanitaire a profondément bouleversé l’économie et les certitudes du septième art. Le monde de la culture est non seulement accablé, mais furibard.) (Le Monde, 29 12 2020)