Arwiqa Portiques – أروقة

Une traduction de Frédéric Lenoir en arabe: quelle signification?_ترجمة لـ فريديريك لونوار إلى العربيّة

Muriel Charrière: Entretien avec Mohamed Adel Mtimet__لقاء مع محمد عادل مطيمط

Mohamed Adel Mtimet

Adel Mtimet est rédacteur en chef d’Arwiqa-portiques (magazine bilingue), professeur de philosophie et traducteur en langue arabe. Cet entretien porte sur sa traduction du livre de Frédéric Lenoir, Le Miracle Spinoza, Edition Fayard, 2017, parue aux éditions Dar Al-Tanwir, Beyrouth, décembre 2020.___محمد عادل مطيمط يترأس فريق تحرير أروقة (مجلة الثقافة الفرنسية) وهو أستاذ فلسفة ومترجم من الفرنسية إلى العربية. يتعلق هذا اللقاء بترجمته لكتاب فريديريك لونوار المعجزة السبينوزية الصادر في نسخته الفرنسية عن دار فايار للنشر، 2017 والذي صدرت نسخته المترجمة إلى العربية عن دار التنوير في بيروت في ديسمبر 2020.

Propos recueillis par Muriel Charrière, historienne de l’art et médiatrice culturelle, pour le magazine Arwiqa-portiques (magazine bilingue de la culture française)__أجرت اللقاء مريال شاريير مؤرخة الفنون والمنشطة الثقافية

Muriel Charrière : Vous êtes professeur de philosophie et traducteur, vous avez accepté de traduire en langue arabe le livre de Frédéric Lenoir Le Miracle Spinoza, déjà traduit dans de nombreuses langues. Pourquoi ce choix ? Que représente pour vous la pensée philosophique de Spinoza et son « Ethique » ?

M. Adel Mtimet : Ma première rencontre avec Spinoza date de 1986 à partir d’un cours que j’ai suivi  à l’Université de Tunis, avec le professeur Ali Chennoufi (lui-même spécialiste de ce philosophe- Thèse soutenue en 1987 à la Sorbonne : Le Statut de l’homme chez Spinoza,) sur la question de l’âme et du corps chez Descartes et Spinoza. Je me rappelle aussi les superbes cours sur la révolution scientifique moderne qui ont été assurés par le professeur Hammadi Ben Jaballah, qui m’ont permis un rapprochement particulier avec la philosophie du XVIIe siècle en général et, plus particulièrement, avec la philosophie de Spinoza. Quand, plus tard (en 1999), après un travail de DEA sur « La formulation moderne du principe d’inertie » (1998), j’ai commencé la préparation du sujet de ma thèse à l’Université de Paris VIII, mon enthousiasme pour un sujet en rapport avec Spinoza a été très fort. Ma thèse va porter sur Les Fondements physiques de la philosophie politique moderne chez Hobbes et Spinoza. Elle comporte une partie sur la nouvelle pensée physique, une deuxième sur l’impact de cette nouvelle pensée sur la philosophie politique de Hobbes et une troisième sur la philosophie politique de Spinoza.

مريال شاريير: أنت أستاذ فلسفة ومترجم، وقد وافقت على ترجمة كتاب فريديريك لينوار المعجزة السبينوزية إلى العربية، هذا الكتاب الذي ترجم إلى العديد من اللغات. لماذا هذا الاختيار؟ وماذا يمثل فكر سبينوزا الفلسفي و « أخلاقه » بالنسبة إليك؟
  عادل مطيمط: يعود لقائي الأول بفلسفة سبينوزا إلى عام 1986 بالانطلاق من دروس تلقيتها في جامعة تونس ألقاها الأستاذ علي الشنوفي (وهو نفسه متخصص في هذا الفيلسوف – أطروحة دكتوراه قدمها سنة 1987 في جامعة السوربون: منزلة الإنسان في فلسفة سبينوزا) حول مسألة الروح والجسد لدى ديكارت وسبينوزا. أتذكر أيضًا الدروس الرائعة حول الثورة العلمية الحديثة التي كان يقدمها الأستاذ حمادي بن جاب الله ، والتي أثارت لدي اهتماما خاصا بفلسفة القرن السابع عشر بشكل عام ، وبشكل خاص بفلسفة سبينوزا. عندما بدأت  لاحقًا (سنة 1999)، بعد بحث في إطار الماجستير حول « الصياغة الحديثة لمبدأ العطالة » (1998)، في إعداد موضوع رسالة الدكتوراه في جامعة باريس 8، كان حماسي لموضوع يتعلق بسبينوزا قويا جدّا. ولكن الأطروحة ستركز على الأسس الفيزيائية للفلسفة السياسية الحديثة في فلسفة هوبز وسبينوزا، حيث تتضمن قسمًا أوّل حول الفكر الفيزيائي الجديد، وقسمًا ثانيًا حول تأثير هذا الفكر الجديد على فلسفة هوبز السياسية، وقسمًا ثالثًا حول فلسفة سبينوزا السياسية.

Cette traduction n’est donc pas à dissocier de mon travail de recherche menée pour ma thèse. Il est vrai qu’elle répondait à une demande qui m’était faite 2019 par la maison d’édition Al-Tanwir (Maison des Lumières) à Beyrouth, mais sans ce travail de recherche et sans un certain amour pour la philosophie de Spinoza, mon accord n’aurait pas été évident. L’autre raison qui m’a fait accepter cette traduction est l’attrait que j’ai eu pour l’excellent livre de Fréderic Lenoir qui arrive à sortir la philosophie du carcan académique pour la rendre accessible au grand public qui, de mon point de vue, peut y  trouver matière à réflexion dans le contexte très instable que nous traversons. La pensée philosophique en général, et celle de Spinoza en particulier, sont aujourd’hui d’une importance capitale pour l’humanité et pour le monde arabe en particulier qui a besoin de mieux connaitre certains des grands penseurs reconnus et traduits dans le monde. Le retour des dogmatismes et des extrémismes menace de nous faire perdre les acquis humanistes qui ont abouti aux démocraties libérales, à la liberté de penser et à l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Permettez-moi donc de vous préciser que la raison principale qui m’a fait accepter de faire cette traduction du livre de Fréderic Lenoir, c’est sa façon de rendre accessible à tous la philosophie de Spinoza. Il a su attirer l’attention vers ce philosophe beaucoup plus que n’ont pu le faire des centaines d’études académiques qui ne sont abordables bien souvent que par une élite scientifique restreinte.


لذلك لا ينبغي فصل هذه الترجمة عن العمل البحثي الذي أجريته في مستوى أطروحة الدكتوراه. صحيح أنها كانت استجابة لطلب تقدمت به  إليّ دار التنوير في بيروت سنة 2019، ولكن دون هذا العمل المسبق ودون تعلق خاص بفلسفة سبينوزا لكنت قد عدلت عن المقترح. السبب الآخر الذي جعلني أقبل هذه الترجمة هو اعجابي بكتاب فريديريك لونوار الذي تمكن من تحرير الفلسفة من تلك القيود الأكاديمية لجعلها في متناول عامة الناس الذين يمكنهم في رأيي العثور فيها على محرك للتفكير في هذا الظرف العالمي غير المستقر الذي نمر به. يكتسي الفكر الفلسفي بشكل عام، وفكر سبينوزا على وجه الخصوص، أهمية قصوى بالنسبة إلى لإنسانية وبالنسبة إلى العالم العربي بشكل خاص. فالعالم العربي يحتاج إلى معرفة أفضل ببعض المفكرين العظماء المعترف بهم والمترجمين إلى لغات العالم. إن عودة الدوغمائية والتطرف يهددان بفقدان المكاسب الإنسانية التي أدت إلى بناء الديمقراطيات الليبرالية وإلى فرض حرية الفكر والمساواة بين جميع المواطنين أمام القانون. لذا، اسمحي لي بالقول إن السبب الرئيسي الذي جعلني أوافق على القيام بهذه الترجمة لكتاب فريديريك لونوار هو طريقته في جعل فلسفة سبينوزا في متناول الجميع. لقد كان قادرًا على جذب الانتباه إلى هذا الفيلسوف أكثر بكثير من مئات الدراسات الأكاديمية التي غالبًا ما لا تكون متاحة الا لنخبة علمية ضيقة.

M. Charrière. : En quoi le livre de Fréderic Lenoir et la pensée de Spinoza peuvent rentrer en résonnance avec la culture arabo-musulmane ? Et, en quoi ce livre peut-il intéresser vos lecteurs ?

M. A. Mtimet : La culture arabo-musulmane a besoin de confirmer son ouverture sur la culture occidentale comme sur toutes les autres cultures du monde. Avec la mondialisation et les nouveaux medias, on assiste à l’émergence d’une culture mondiale dont aucun peuple ne peut faire abstraction. La culture arabo-musulmane qui a adopté parfois une attitude défensive face aux mutations politiques et sociales, a besoin de se délivrer de sa rétractation et de sa peur de l’autre, provenant de perspectives différentes. Dans le Mythe and meaning (1978), Claude Levis Strauss, ethnologue et philosophe de la rencontre interculturelle par excellence, l’avait bien noté quand il disait : « Je ne vois pas comment le genre humain pourrait réellement vivre sans quelque diversité interne ». D’où l’importance extrême de la traduction aujourd’hui : un moyen à l’échelle planétaire d’avoir accès à la pensée philosophique qui a une visée universelle et peut permettre de faire face à un monde complexe et en mutation.

En rapport avec l’intérêt de cette traduction en langue arabe, il faut noter que Spinoza est l’un des meilleurs théoriciens de l’« ouverture » : une « ouverture » qu’il traduit en étant lui-même un lecteur curieux et un libre penseur ouvert aux grands courants de pensée dont il a eu connaissance.  Il parlait couramment plusieurs langues, comme le note F. Lenoir, le flamand, le portugais et l’espagnol. Il pouvait lire l’italien, l’allemand et le français et quelques langues anciennes comme l’hébreu biblique, l’araméen, le grec et le latin.  Mais cette « ouverture » dont nous parlons, est surtout celle qu’il fonde philosophiquement dans son ontologie, dans sa théorie de la connaissance et dans sa conception de l’éthique que les hommes doivent suivre dans une visée de l’universel.

De plus, la thèse spinozienne n’est pas étrangère à la philosophie arabe. On peut y reconnaitre par exemple des connivences avec la philosophie d’Ibn Arabi, philosophe mystique du XIIIe siècle (1165-1240), considéré comme le plus grand penseur de la doctrine de l’unicité de l’Être (Wahdet-al-wujud). Mais cela doit se comprendre au-delà des différences méthodologiques et épistémologiques entre les deux penseurs. Ibn Arabi est un mystique qui prône « le cœur » comme source ultime de la vérité, quand à Spinoza, il est ce grand rationaliste qui affirme que tout, y compris la vérité divine et les passions, doit être démontré par la raison. Si Fréderic Lenoir n’évoque pas cette affinité entre le penseur andalou du XIIIe siècle, et le dissident d’Amsterdam, il rappelle cependant que Spinoza « s’extrait du dualisme traditionnel de l’Occident pour établir un monisme » puisqu’il affirme que Dieu et le monde sont une même et seule réalité. Or, nous devons noter que ce monisme se trouve aussi dans Les Illuminations de la Mecque d’Ibn Arabi. (1203-1238, trad. partielle Michel Chodkiewicz , 1988, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », 2008, 353 p.)

مريال شاريير. : ما هو صدى كتاب فريديريك لونوار وفكر سبينوزا في الثقافة العربية الإسلامية؟ وكيف يمكن أن يثير هذا الكتاب اهتمام القراء؟
عادل مطيمط: الثقافة العربية الإسلامية بحاجة إلى تأكيد انفتاحها على الثقافة الغربية وعلى جميع الثقافات الأخرى في العالم. فمع العولمة ووسائل الإعلام الجديدة، نشهد ظهور ثقافة عالمية لا يمكن لأي شخص تجاهلها. إن الثقافة العربية الإسلامية، التي تبنت أحيانًا موقفًا منغلقا في مواجهة التغيرات السياسية والاجتماعية، تحتاج إلى تحرير نفسها من تراجعها وخوفها من الآخر الآتي من وجهات نظر مختلفة. في الأسطورة والمعنى (1978) ، كان كلود ليفيس شتراوس  عالم الأعراق وفيلسوف اللقاء بين الثقافات بامتياز ، قد لاحظ ذلك جيدًا عندما قال: « لا أرى كيف يمكن للجنس البشري أن يعيش حقًا في غياب بعض التنوع الداخلي ». ومن هنا تأتي الأهمية القصوى للترجمة اليوم: إنها وسيلة على نطاق كوكبي للوصول إلى الفكر الفلسفي الذي له هدف عالمي والذي يجعل من الممكن مواجهة عالم معقد ومتغير. في ما يتعلق بهذه الترجمة إلى اللغة العربية، تجدر الإشارة إلى أن سبينوزا هو أحد أفضل منظري « الانفتاح »: « الانفتاح » الذي يترجمه من خلال كونه قارئًا فضوليًا ومفكرا حرا منفتحا على التيارات الفكرية الرئيسية التي يعرفها. كان يتقن عدة لغات ، كما يلاحظ ف. لونوار ، الفلمنكية والبرتغالية والإسبانية. كان بإمكانه قراءة الإيطالية والألمانية والفرنسية وبعض اللغات القديمة مثل العبرية التوراتية والآرامية واليونانية واللاتينية. لكن هذا « الانفتاح » الذي نتحدث عنه هو قبل كل شيء ما يؤسسه فلسفيًا في الأنطولوجيا الخاصة به ، وفي نظريته في المعرفة وفي مفهومه للأخلاق التي يجب أن يتبعها الإنسان في إطار غائية كونية. ثمّ إنّ أطروحة سبينوز ليست غريبة عن الفلسفة العربية. يمكننا على سبيل المثال أن نلاحظ تقاطعها مع فلسفة ابن عربي، الفيلسوف الصوفي من القرن الثالث عشر (1165-1240) ، الذي يعتبر من أعظم مفكري عقيدة وحدة الوجود. ولكن يجب فهم هذا في ما وراء الاختلافات المنهجية والمعرفية بين هذين المفكرين. فابن عربي صوفي يعتبر « القلب » المصدر النهائي للحقيقة ، في حين أن سبينوزا يمثل ذلك العقلاني العظيم الذي يؤكد أن كل شيء، بما في ذلك الحقيقة الإلهية والعواطف ، يجب أن يدرك بالعقل. إذا لم يستحضر فريدريك لونوار هذا التقارب بين مفكر القرن الثالث عشر الأندلسي ومتمرد أمستردام في القرن السابع عشر، فإنه يذكر على الأقل بأن سبينوزا « قد تملص من الثنائية التقليدية التي حكمت الفكر الغربي ليؤسس نظرة أحادية للوجود » لأنه يؤكد أن الله و العالم شيء واحد ويمثلان نفس الحقيقة. يجب أن نلاحظ أن هذه النظرة موجودة أيضًا في الفتوحات المكية لابن عربي. (1203-1238 ، ترجمة جزئية لميشيل شودكيوفيتش ، 1988 ، ألبين ميشيل ، سلسل التجارب الروحية الحية، 2008 ، 353 صفحة.)

M.Charrière. : Le monde a été particulièrement impacté, bouleversé ces dernières années par des questions qui touchent aux religions et aux identités culturelles de nos deux cultures judéo-chrétienne et arabo-musulmane. Pensez-vous qu’une meilleure connaissance de la philosophie et de certains philosophes peut participer, voire être moteur d’une réconciliation entre les cultures et les peuples ?

M. A. Mtimet : Certainement : je n’en ai aucun doute, à condition de mieux entreprendre l’enseignement de la philosophie et de s’ouvrir aux cheminements de la pensée propres aux philosophes comme Spinoza, Fréderic Lenoir et tant d’autres. Il est temps que la philosophie passe à l’acte et soit rendue accessible à tous. Elle pourra alors contribuer par ses vertus spécifiques à la création d’un monde meilleur, plus équilibré et plus accommodé aux valeurs auxquelles nous songeons tous, notamment celle de la liberté de conscience et de la dignité de l’être humain.

Comme je viens de le noter, la philosophie est un lieu de rencontre entre tous les hommes au-delà des appartenances culturelles ou religieuses. En démontrant qu’aucun ne détient une vérité absolue, la philosophie nous rassemble en permettant d’universaliser le questionnement sur notre existence et notre destinée. Il y a des questions auxquelles aucune religion ni culture ne pourrait répondre ou penser à elle seule ; des questions que seule la dialectique de la raison universelle peut entreprendre. Les thèmes de la liberté, des droits de l’homme et de l’éthique qui concernent tout homme sur cette terre appellent à un débat transculturel entre tous les hommes qui se reconnaissent par leur appartenance commune à une seule et même sphère : la communauté de la raison. Spinoza nous apprend à s’engager dans la voie de cette universalité. Ses relations difficiles avec sa propre communauté judaïque, sa critique radicale des religions et son appel à compter sur la raison pour le salut, font de lui un libre penseur qui a ouvert une voie vers la liberté de penser pour tout être humain.

Cependant,  je ne réserve pas toute la confiance à la philosophie seule. Pour cela, je réserve aussi une place importante à l’art et à l’histoire pour éclairer les esprits.

M. Charrière : Pourriez-vous développer un peu votre pensée sur les liens existants entre art, histoire et philosophie ?

M. A. Mtimet : Je pense réellement que les artistes sont des « éclaireurs » quand le navire de l’humanité chavire dans les ténèbres. Par exemple à la Renaissance, les peintres ont pu attirer l’attention sur le monde physique, celui de la nature et des hommes et d’une certaine façon, ils ont préparé le terrain à toute l’épopée postérieure. L’art de la Renaissance contient en germe les bases d’un esprit philosophique et scientifique qui se développera par la suite. Quant aux historiens, ils ont ce privilège d’être placés mieux que tous les autres dans la perspective de l’Histoire. Ils savent que tout est affaire d’optique  (point de vue) et que tout est créé par les hommes dans des circonstances spécifiques. Ils sont donc bien placés pour comprendre que la vérité est relative, et ils peuvent ainsi se délivrer de toute illusion dogmatique. Bref, je pense réellement que philosophie, art et histoire forment bien ensemble le rempart que nous devons élever contre l’obscurantisme, l’intégrisme et la violence.

M. Charrière. : Pouvez-vous proposer à vos lecteurs, un extrait du livre de Frédéric Lenoir qui puisse leurs donner envie de connaitre la pensée de Spinoza et de lire ce livre remarquable ? Et pouvez-vous d’abord nous dire quelques mots sur Spinoza ?

M.A. Mtimet : Baruch Spinoza (1632-1677), est un philosophe hollandais du XVIIe siècle. Il a dû quitter son pays natal, le Portugal, avec sa famille juive qui a été contrainte de se convertir au catholicisme. Installé à Amsterdam, il a commencé ses études dans le cadre de la tradition juive à l’école Talmud Torah d’Amsterdam. Mais se montrant rebelle vis-à-vis des enseignements judaïques, il a été sujet à un herem, décision communautaire d’excommunication (ex-communicare). La suite de son parcours est celle d’un penseur libre, très critique à l’égard de toutes les religions. Il repousse cette idée que les hommes se sont faits de Dieu en l’imaginant à leur image. Il en dévoile brillamment les origines psychologiques profondes et opte pour un Dieu immanent qui serait indifférent aux actions des hommes. « Pourquoi les humains se sont-ils forgé un Dieu à leur image ? ». C’est parce qu’ils agissent toujours en vue d’une fin utile qu’ils sont enclin à ne considérer que les causes finales. Ils cherchent ainsi à donner une signification à toute chose pour apaiser leurs esprits. Ainsi comme le dit Lenoir, « Spinoza a parfaitement saisi, d’un point de vue philosophique, ce qui est à l’origine des grandes religions historiques : le principe finaliste (tout est fait dans la nature pour le bien de l’homme) et utilitariste (je donne quelque chose à Dieu pour qu’il m’apporte sa protection) » (Le Miracle Spinoza p. 129).

De là découle nécessairement que «Dieu agit par les seules lois de la nature et sans être contraint par personne. » (Ibid., proposition 17) et que le chemin pour le salut est autre, un chemin que Robert Misrahi décrit en affirmant que pour Spinoza, « l’itinéraire de la sagesse ne sera donc pas une ascension vers le ciel ou l’au-delà indicible, mais un approfondissement de l’existence elle-même, dans notre monde unique » (Spinoza, 2005, p. 54).

Spinoza est un philosophe pas comme les autres. Il sera respecté et lu par tous ceux qui lui ont succédé. Bergson l’a bien noté dans une lettre de à Léon Brunscvicg quand il dit que « Tout philosophe  a deux philosophies  : la sienne et celle de Spinoza  ». (Lettre à Léon Brunschvicg, 22 février 1927). André Comte-Sponville, plus récemment, a repris ce propos de Bergson dans une formule plus métaphorique que cite d’ailleurs Lenoir (Le Miracle Spinoza, p.209) en affirmant qu’ « il y a plusieurs demeures dans la maison du philosophe, et celle de Spinoza reste  à mes yeux la plus belle, la plus haute, la plus vaste. Tant pis pour nous si nous ne sommes pas capables de l’habiter absolument » (philosophie Magazine, hors-série, avril-juin 2016, p. 130.).

Pour terminer en citant un passage du livre, je souhaiterai reprendre un extrait de Goethe, que cite Lenoir, parlant de sa rencontre avec la pensée de Spinoza. Un extrait qui résume pour moi tout ce « miracle Spinoza » : « j’avais, écrit Goethe dans ses Mémoires, reçu en moi la doctrine et la personnalité d’un homme extraordinaire, d’une manière incomplète, il est vrai, et comme à la dérobée, mais j’en éprouvais  déjà des remarquables effets. Cet esprit qui exerçait sur moi une action si décidée, et qui devait avoir sur ma manière de penser une si grande influence, c’était Spinoza. En effet, après avoir cherché vainement dans le monde entier un moyen de culture pour ma nature étrange, je finis par tomber sur l’Ethique de ce philosophe Ce que j’ai pu tirer de cet ouvrage, ce que j’ai pu y mettre du mien, je ne saurai en rendre compte ; mais j’y trouvais l’apaisement de mes passions, une grande et libre perspective sur le monde sensible et le monde moral semblait s’ouvrir devant moi (…) le calme de Spinoza, qui apaisait tout, contrastait avec mon élan, qui remuait tout ; sa méthode mathématique était l’opposé de mon caractère et de mon exposition poétique, et c’était précisément cette méthode régulière, jugée impropre aux matières morales, qui faisait de moi son disciple passionné, son admirateur le plus prononcé. (…). » pp. 11-12. Il n’y a peut-être pas mieux que ce témoignage de Goethe qui démontre en quoi la pensée spinozienne peut être un baume pour tout être humain en quête du bonheur.

Goethe, Bergson, Sponville  et les autres que cite Lenoir dans ce livre très accessible, sont des témoins éternels de la portée et de la valeur de la philosophie spinozienne qui prend tout son sens aujourd’hui.

(Pour information, une petite modification a été faite dans la version arabe, sur deux passages du livre en rapport avec ce que dit Spinoza de l’Islam.)

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